Claude de Soria

Les œuvres de Claude De Soria révèlent les qualités plastiques d’un matériau considéré depuis toujours comme ingrat. C’est de l’épanchement du ciment liquide et de sa « prise » sous une feuille de plastique, que naissent en effet les formes, sinon les figures. Réduisant le modelage au minimum, l’action du sculpteur est ici une fonction d’accompagnement.

L’œuvre de Claude de Soria est d’abord née d’une toute viscérale réticence à la seule pensée d’imposer une forme quelconque au matériau. On serait en droit de dire que cela ne promet guère, Or, dans l’entreprise de Claude de Soria, c’est justement la manière dont elle a surmonté cet obstacle qui est éclairant et qui offre même un aperçu précieux du fonctionnement du processus créateur.

Car de Soria est engagée dans une stratégie créatrice d’un genre particulier. En 1962, lorsqu’elle ne voulait plus travailler d’après modèle vivant, elle modela un bouton de fleur en terre cuite de 20 cm de diamètre. Puis survint un intervalle au cours duquel elle ne parvenait plus à s’imposer aucun « sujet ». Or, dix ans plus tard, à une époque où elle avait déjà commencé à travailler le ciment, elle en jeta une petite quantité au fond d’un sac en plastique quelle tordit pour bien le fermer. Quand elle le déplia par la suite, le ciment séché se révéla être une forme jumelle du « bouton de fleur» qu’elle avait précédemment sculpté.

De Soria fut bouleversée par ce signal inattendu qui semblait lui venir du cœur même de la matière et elle le prit comme un indice ou un oracle matériel lui indiquant le chemin qu’elle devait suivre. Désormais elle se laisserait guider par son matériau.

Le choix du ciment fut également l’effet d’un hasard. Elle s’y essaya parce qu’un maçon en avait laissé un petit reste dans la cour devant son atelier. Elle le posa sur une plaque de verre et tenta de le travailler, mais l’expérience fut décevante, le ciment ne gardait aucune forme et elle finit par quitter l’atelier en le laissant sur place. Or, lorsqu’elle le détache de la plaque de verre le lendemain matin, le décollant à l’aide d’une lame de rasoir, elle fut surprise par l’aspect tavelé, grêlé et poli qu’elle découvrit.

C’est ainsi que se firent les choix qui caractérisent aujourd’hui son œuvre : celui, tout d’abord, de ce matériau à première vue peu séduisant : le ciment ; celui, ensuite, qui consiste à se laisser dicter ses conditions par le matériau lui-même. En 1974, de Soria produisit des plaques circulaires dont le plus grand avait un diamètre de 80 cm. La matière est plutôt froide, mais grêlée et comme marquée de traces nuageuses comme on en voit sur les « pierres de rêves » japonaises. Ensuite vinrent les sphères, les formes drapées, les tiges.

Mais l’aspect le plus séduisant et même étonnant de son travail survint en 1985 lorsqu’elle se mit à produire ses « Lames » et « Contre-lames ». Il s’agit de grandes formes qui atteignent jusqu’à trois mètres de hauteur, nées du ciment versé sous une forme liquide sur des feuilles de plastique qui sont ensuite repliées. Chacune de ces pièces à l’élégance d’un couteau de jade et chacune, chaque fois, surprend l’artiste, au moment où elle déplie l’emballage, par la variété subtile des couleurs qui tendent, ici vers le bleu, là vers le noir, le rouge ou le vert.

Les formes les plus récentes ressemblent à de grandes roues qui font jusqu’à un mètre de diamètre. Ici, encore une fois, le résultat ne découle d’aucune décision qui interviendrait pour l’infléchir, mais il est commandé par le processus physique qui s’impose à l’artiste, dès le départ, comme une chose qui va de soi. Les plis, les lacunes, les taches et marbrures sont chaque fois imprévisibles. Il lui arrive pourtant de rejeter telle pièce parce quelle lui trouve une lecture trop simpliste —ainsi la fente centrale qui lui paraissait avoir une connotation sexuelle trop définie et banale.

Michael Gibson